- LUCRÈCE (iconographie)
- LUCRÈCE (iconographie)LUCRÈCE, iconographieL’Histoire romaine de Tite-Live est la source première et principale de l’histoire de Lucrèce. Jeune épouse de Tarquin Collatin, membre de la famille royale, elle fut remarquée pour sa beauté et sa vertu par Sextus Tarquin, fils de Tarquin le Superbe. Abusant de son hospitalité en l’absence de son mari, Sextus la viola après l’avoir menacée de la mort et du déshonneur. Elle convoqua son mari et son père pour se justifier et leur fit promettre vengeance, puis se poignarda sous leurs yeux et sous ceux de Brutus. Ce dernier, ameutant la jeunesse autour du corps de Lucrèce, déclencha la révolte contre le tyran et fut avec Collatin le premier consul de la République romaine instaurée. Dès l’Antiquité, Lucrèce fut prise comme exemplum virtutis par des auteurs latins tels que Sénèque, Valère-Maxime ou Cicéron; elle fut, dès la fin du Moyen Âge, incluse dans les séries de «femmes illustres», depuis le De claris mulieribus de Boccace jusqu’au Temple de chasteté de F. Habert (1549). Vers le milieu du XVIe siècle, le thème des femmes fortes se sacrifiant volontairement pour sauvegarder leur honneur est en vogue, et la tragédie Lucrèce de Nicolas Filleul, jouée au château de Gaillon en 1566 devant Catherine de Médicis, vient après Cléopâtre et Didon de Jodelle et Sophonisbe de Saint-Gelais. L’iconographie de Lucrèce, en dehors de ces séries de modèles féminins apparaissant dans des décors publics (voûte du transept de San Geronimo de Grenade, XVIe s.) ou privés (plafond de Girolamo Mocetto conservé au musée Jacquemart-André, Paris), s’inspire des trois moments essentiels du récit. Certains artistes ont ainsi représenté la scène de Sextus menaçant de son poignard Lucrèce couchée: Titien (Fitzwilliam Museum, Cambridge, et Akademie, Vienne), les graveurs Agostino Veneziano (d’après Jules Romain), «L. D.» (d’après Luca Penni?) et H. Goltzius, enfin F. Salviati (dessin du Louvre qui servit peut-être pour une tapisserie commandée par le grand duc de oscane Cosme Ier). Les images les plus fréquentes sont celles du suicide de Lucrèce, mais les interprétations en sont diverses. Soit Lucrèce est entourée de son père et de son mari, comme chez Sodoma qui traita ce thème pour le pape Léon X (version au musée des Beaux-Arts, Budapest) ou chez Beccafumi (coll. Chigi, Sienne); soit elle est seule, isolée de tout contexte. Ainsi Raphaël (dessin gravé par Marc-Antoine Raimondi) a choisi d’en faire une figure quasi nue, aux formes et au hanchement classicisants, au geste plutôt déclamatoire; il fut suivi par de nombreux artistes: des graveurs comme Jacopo Francia, H. S. Beham ou Lucas de Leyde, des peintres comme Titien (Hampton Court), Dürer et Cranach (Alte Pinakothek, Munich). Parmesan (Capodimonte, Naples), Véronèse (Kunsthistorisches Museum, Vienne), Leandro Bassano (Académie, Venise), Joos van Cleve (Kunsthistorisches Museum, Vienne, et De Young Memorial Museum, San Francisco) et plusieurs maîtres flamands et allemands du XVIe siècle l’ont peinte en buste, le corsage dégrafé, prête à recevoir le coup; Rembrandt en a créé deux images à mi-corps émouvantes par leur sobriété (Institute of Arts, Minneapolis, et National Gallery, Washington). Le troisième type d’images est plus rare: les conséquences politiques du suicide de Lucrèce sont montrées dans des compositions narratives en largeur. Le panneau de Botticelli (Isabelle Stewart Gardner Museum, Boston) décorait sûrement une demeure patricienne florentine; celui de Jörg Breu (Alte Pinakothek, Munich) fait partie du même ensemble d’histoires d’hommes et de femmes illustres que la Bataille d’Alexandre d’Altdorfer, peintes pour le duc Guillaume IV de Bavière et son épouse Jacobea entre 1528 et 1540. La Renaissance est bien le moment du plus vif succès de ces femmes illustres et en particulier de Lucrèce. C’est qu’en dehors de son rôle historique (d’ailleurs contesté par Machiavel dans ses Discours sur la première décade de Tite-Live ), elle posait un problème éthique cher à l’époque: était-il possible de concilier l’idéal humaniste de la dignité personnelle, reconnaissant à l’homme le droit de disposer librement de lui-même et la morale chrétienne de l’humilité nécessaire de la créature, dont Dieu seul peut disposer? Aussi l’«orgueil» de Lucrèce était-il blâmé par nombre de moralistes, de saint Augustin à Antoine Dufour (Les Vies des femmes célèbres , dédié à Anne de Bretagne). Les hommes de la Renaissance, non contents d’identifier certaines statues ou bustes romains comme des figures de Lucrèce (Aldrovandi en cite plusieurs dans les collections romaines d’antiques en 1562), l’ont insérée dans des frontispices (De morte declamatio d’Érasme, Bâle, 1518; Inscriptiones ... de Peutinger, Augsbourg, 1520), dans des alphabets historiés où voisinent allégories des vertus et dames légendaires, l’ont représentée sur des coffres de mariage peints, en raison de sa fidélité conjugale exemplaire. C’est pour le même motif que Lucrezia Valier, épousant en 1533 un membre de la noble famille vénitienne des Pesaro, se fit portraiturer par Lorenzo Lotto tenant un dessin du suicide de Lucrèce (National Gallery, Londres). Des dépouillements d’inventaires de la bourgeoisie parisienne ont révélé l’existence d’une trentaine d’images peintes de Lucrèce entre 1550 et 1660. Si Guido Reni donna encore au moins quatre versions du suicide de Lucrèce (de 1625 à 1639), Simon Vouet un tableau d’une extrême splendeur chromatique (Narodni Galerie, Prague) et Sebastiano Ricci deux tableaux d’esprit déjà rocaille (vers 1680, Dayton Art Institute, Ohio, et 1695, Ospedale degli Esposti, Parme), le thème semble se raréfier au XVIIIe siècle. À cette image ambiguë, à la fois héroïque et sensuelle, les artistes néo-classiques ont préféré des morts masculines stoïquement acceptées comme celles de Socrate ou de Caton. Victime du déclin de la peinture d’histoire au XIXe siècle, Lucrèce ne sera pas même sauvée par le symbolisme qui préféra les séductrices aux Romaines vertueuses.
Encyclopédie Universelle. 2012.